Chapitre 1 : Mes 7 premières années
Nous sommes le 31 décembre 2002, et pour la énième fois j’ai subitement envie d’écrire mon histoire. Mais je ne suis jamais passée à l’acte par crainte de blesser ceux que j’aime, mais aussi pour m’épargner des souvenirs douloureux. On écrit ses mémoires lorsqu’on est âgé, et pourtant je n’ai que 34 ans. Les gens de mon âge ont connu les sorties en boîtes avec les copains et copines, ont fait des études plus ou moins longues et sont maintenant entrés dans la vie active avec les avantages et les inconvénients que cela engendre. Je n’ai rien connu de tout ça, pourtant j’ai un assez bon niveau scolaire. Je suis allée à l’école épisodiquement car j’ai eu du mal à trouver un établissement ordinaire qui m’accepte avec ma différence. Non, ce n’est ni une question de religion ni une question de couleur de peau, je suis handicapée.
Les médecins ont pris l’accouchement de ma mère trop à la légère. Ils m’ont écrasé le bulbe crânien dans toute sa partie motrice, J’ai manqué d’oxygène ce qui a détruit des cellules du système nerveux. Tout ceci aurait pu être évité si le médecin avait fait une césarienne à maman lorsqu’il a vu que les choses se passaient mal ; mes parents n’ont jamais plus revu le toubib qui avait pratiqué l’accouchement. Les docteurs étaient convaincus que je n’allais pas vivre, car j’étais dans le coma et sous perfusion. C’est pourquoi on s’est empressé de me baptiser, mais au bout de deux jours je me mis à prendre correctement mes biberons. Un cousin qui passait plusieurs fois par jour, répétait à maman « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. » Lorsque le pédiatre m’a emmenée à ma mère qui ne m’avait encore pas vue en annonçant que j’allais vivre, maman eut peur qu’il se trompe et a eu une réticence mais elle se ressaisit, et accepta de me voir. Elle me racontera plus tard que lorsqu’elle m’a prise dans ses bras j’ai ouvert mes grands yeux bleus, comme pour dire « ah ! c’est toi ma mère ».
Mes parents furent très soutenus par ma famille paternelle tandis que celle du coté maternel était occupée aux travaux de la ferme. Les parents de maman qui furent prévenus des évènements ont rendu visite à leur fille que le soir c’est à dire que je suis née vers 1 h et ils sont venus vers 20 h après avoir fini leur journée de travail sur leur propriété. Etaient – ils réellement au courant de la situation ? Pur hasard ou pas alors que ma mère sait à peine qu’elle est enceinte ma grand–mère maternelle va consulter une voyante qui lui annoncera qu’une de ses fille attend un enfant qui aura de graves problèmes qui s’arrangeront en grandissant. Même si ma mère n’y prête pas attention elle rêvera d’un bébé qui s’étouffe.
Mon père tenait moins le coup que man car il a perdu du poids et mémé en fit autant. Lorsqu’il me tenait dans ses bras, il me disait : « Je travaillerai jour et nuit pour que tu ne manques de rien ».
A la sortie de la maternité, le milieu médical savait que j’allais avoir des séquelles mais il n’en savait pas plus et conseillait à mes parents de vérifier mes sens auditifs et visuels Je sursautais au moindre petit bruit et un peu plus tard je suivais mes parents des yeux donc sur ces plans là pas de problème. Pendant
le premier mois tout se passa très bien, je prenais correctement mes biberons et je dormais normalement, tellement bien que mon père rentrait du travail, il s’inquiétait de mon calme.
Dés le deuxième mois, je me mis à pleurer jour et nuit et les moments des repas étaient une vraie épreuve. J’avais de grosses difficultés pour déglutir, je faisais beaucoup de fausses routes. Quand j’eus l’âge de manger une nourriture plus consistante, je prenais mes repas allongée sur un matelas ; une cuillère sur cinq arrivait à mon estomac et lorsque j’arrivais à les garder, c’était un exploit. Papa appelait souvent maman du travail pour voir si j’avais gardé les quelques cuillerées péniblement avalées. Mes pleurs ne cessaient que lorsque j’étais dans les bras et que l’on me berçait, alors les après-midis maman me mettait dans le landau pour de longues promenades. Dés que papa rentrait du travail, il me prenait et entre autre me berçait en me chantant « L’eau vive » (chanson de GUY BEART).
A quatre mois seulement, j’ai fait mon premier sourire et mon entourage était tellement content, que tout le monde s’amusait à me faire sourire.
Lorsque j’ai eu à peu près six mois, une fois par mois, mes parents m’emmenaient à 130 km de chez nous pour voir une kinésithérapeute qui indiquait à ma mère la rééducation à me faire faire. Pendant tout le voyage je pleurais, car je savais où on allait. Ma rééducation se déroule dans la chambre prévue pour moi, mais que je n’occupe pas car je dors dans celle de mes parents. Tous les exercices se passent par terre, man a de la corne aux genoux à la longue.
Avant ma naissance, elle travaillait dans un magasin
de confection, mais vu la situation, elle a choisi de ne pas reprendre son travail pour mieux s’occuper de moi. C’est pour les mêmes raisons qu’elle a refusé une place dans la banque où papa était employé.
Je détestais les mouvements qu’elle me faisait faire, ça me faisait mal. Pourtant c’était des gestes qu’un bébé effectue normalement seul : le maintien assis, les roulades, attraper des cubes, marcher à quatre pattes, et j’en passe encore. Lorsque je râle trop pour ne pas travailler , maman s’approche de la poubelle et me dit qu’elle va m’y mettre, je ne crois pas que je travaillais mieux pour autant.
Comme je mange toujours aussi mal la kiné conseille à man de me donner du miel et de la gelée royale. Depuis tout bébé, ce n’est que quand on me change que je fais mes besoins, alors maman me met sur le pot dés que j’ai l’âge de m’asseoir. Pour mieux me faire comprendre, elle me fait faire pipi sur le gravillon, le bruit m’amusait. Lorsque je fus trop grande pour faire mes besoins sur le baby – relax ; man me coinçait entre un mur et une chaise pour ne pas que je tombe du pot .
J’ai en permanence une bavette autour du cou car je bave énormément, il m’en faut plusieurs par jour ; évidement quand je sors je n’en ai pas. Avec mes parents, le lundi jour de congé de papa, nous allions tous les trois dans un supermarché, pour que je m’habitue à voir du monde car tout me faisait peur et je hurlais dès que j’étais assise dans un caddie. Mes parents n’ont jamais cessé d’aller en vacances et dès mon plus jeune âge, je côtoie les plages
de BIARRITZ. Partir, c’est tout un cirque car il faut emmener mon petit lit, sinon je ne dors pas.
Je n’ai guère plus de deux ans et demi lorsqu’on m’emmène tout près de notre domicile, chez une orthophoniste qui commence progressivement à enseigner à maman comment m’apprendre à lire Et toute la journée, man alternait entre la rééducation et la scolarité. Autant je déteste la gym autant j’adore apprendre, ça me passionne et je garderai très longtemps cette motivation pour l’école.
Maman me demandait d’attraper des cubes, qu’elle plaçait groupés sur la moquette ; elle me tenait assise et m’apprenait les couleurs et les formes, derrière chacun d’eux se cachait un animal différent et à sa demande je lui donnais le bon cube. Je savais par exemple que derrière le rouge il y avait le coq, je ne me trompais jamais ; Man était incapable de se souvenir de ce qu’il y avait derrière les cubes mais moi, je les connaissais par cœur. Le fait de les attraper aidait à rééduquer mon bras et ma main gauches ; je ne suis jamais parvenue à contrôler mon côté droit. L’orthophoniste nous avait donné une boîte avec des petits compartiments dans lesquels il y avait toutes les lettres de l’alphabet et comme pour les cubes, je passais à mon professeur préféré les lettres qu’elle demandait et j’ai su très tôt lire. Cela m’était utile pour me faire comprendre car je ne parlais pas encore.
Outre les mouvements enfantins, maman me tenait debout par les jambes et je devais redresser mon buste et ma tête qui avaient tendance à partir de tous les cotés. J’étais appareillée des pieds aux hanches pour tenter de redresser mes jambes. J’allais aussi chez le kiné d’AIGUILLON mais avec
lui c’était plus de l’amusement, lorsque maman revenait, il me prenait et on se cachait pour pas qu’elle nous trouve.
Ma mère faisait le ménage et la cuisine avec moi sur les bras pour que je ne pleure pas, car mes pleurs ne cessaient jamais sauf lorsqu’on me tenait pour me faire marcher.
Le soir, papa m’emmenait chez mes grands - parents, avec mon pépé je soignais les porcs, c’est du moins ce qu’il me faisait croire. Le dimanche, mes grands-parents m’emmenaient dans les bois, ils roulaient longtemps en voiture et quand je dormais, ils stoppaient la voiture mais aussitôt je me remettais à pleurer. Mon grand – père me faisait marcher et je ramassais des pignes de pin, des glands, tout ce que l’on peut trouver dans un bois.
La directrice de l’école maternelle acceptait de me prendre une matinée dans sa classe et cet essai fut concluant. Elle commençait à initier les enfants à la lecture et elle me disait de ne pas lever le doigt pour laisser répondre les autres.
Le matin, j’allais à l’école, ma mère venait me sortir aux récréations pour que je sois dans la cour avec mes camarades et lorsqu’elle ne venait pas, les enfants se disputaient pour rester avec moi dans la classe et ça se passait à tour de rôle. Man venait aussi à toutes les sorties que l’école organisait mais en général, je restais chez moi les après – midis pour poursuivre ma rééducation.
Lorsqu’un camarade fêtait son anniversaire le mercredi, là encore ma mère venait et bien sûr comme je n’avais jamais faim je ne goûtais pas ; mes petits compagnons venaient aussi me rendre visite avec leurs parents qui avaient d’ailleurs sympathisé avec les
miens. Les enfants jouaient entre autre, avec une petite voiture à pédales, l’un de ces nombreux jouets que l’on m’avait offerts mais dont je n’ai jamais pleinement pu profiter car ils étaient inadaptés à mon cas.
Alors qu’un jour je me trouve seule avec maman sur une plage de BIARRITZ, je l’interroge, je veux savoir pourquoi notre nom de famille est différent de celui de mes grands-parents. Sans faire de mystère, ma mère m’explique que lorsque papa avait 18 mois son père était mort et quelques temps après ma grand-mère s’est remariée pour que mon père ait un papa. Je l’ai toujours considéré comme mon vrai grand-père.
Si dans la journée, j’acceptais que d’autres personnes que maman s’occupent de moi , le soir et la nuit ce n’était pas la même histoire. En effet, le moment du coucher était aussi pénible que les moments des repas ; ma mère me tenait la main jusqu’à ce que je trouve le sommeil, un sommeil léger, puisque lorsque man tentait de s’en aller sur la pointe des pieds, je me remettais à pleurer. Je me réveillais plusieurs fois par nuit et cela dura jusqu’à l’âge de 7 ans.
Maintenant, je marche à quatre pattes et je vais d’une pièce à l’autre, je suis ma mère dans toute la maison, du moins au premier étage. Cela ne m’empêche pas de préférer la station debout , celle dite normale. Je peux jouer car j’arrive à mettre des disques dans un mange-disque, j’ai un coffre à jouets en mousse que je m’amuse à vider. Jouer à la poupée, c’est plus dur car ça demande des gestes trop précis mais il y a toujours quelqu’un pour m’aider
Lorsqu’on part en vacances,
je peux m’amuser au sable mais là encore, je demande l’attention d’une personne. J’adore me baigner et je veux toujours aller dans l’eau. Ma grand-mère vient en vacances avec nous pour soulager mes parents
Les moments des repas sont toujours aussi pénibles, je fais des efforts (pour vomir) lorsque je vois la nourriture ou lorsque tout simplement on m’en parle. Mais je ne mange plus allongée sur un babi relax pour que ça passe mieux. Le soir, maman m’accompagne toujours au lit et reste avec moi. Lorsque je n’arrive pas à faire quelque chose, en particulier à prendre mes repas, cela révolte papa ; le soir lorsqu’il fait du courrier à son bureau, je sais que dans la pièce voisine, il y a son fusil de chasse et j’ai peur qu’il fasse une bêtise. Je me souviens que dans mon sommeil j’ai cru entendre un coup de feu qui m’a réveillée. Je ne comprends pas aujourd’hui, pourquoi je n’ai pas su exprimer cette peur ; peut être que ça m’aurait aidée. Comme les gens qui sont horrifiés à la vue d’un serpent moi, j’ai du mal à rester dans une pièce où il y a un fusil même si je sais qu’il n’est pas chargé.
Un soir, pourtant maman me mit au lit et me laissa et dit à mon père qui ne supportait pas de m’entendre pleurer d’aller faire de la marche ; le premier soir lorsqu’il revint au bout de quatre heures je hurlais toujours, bien sûr entre temps maman était venue me voir mille et une fois. Ce n’est qu’au bout de quinze jours que je m’endormis sans protester, maintenant j’avais ma propre chambre, en revanche j’appelais toujours cent fois par nuit : pour boire, pour me tourner et
pour diverses raisons. Lorsque mes parents sortaient le soir et que ma grand-mère venait me garder chez moi puisque je ne voulais pas aller chez elle, je lui disais « moi attends maman » et je ne m’endormais que lorsqu’elle était là.
Je continue d’aller à l’école le matin et l’après-midi à faire de la rééducation, ma mère me met une culotte avec du bois à l’intérieur pour me maintenir les jambes écartées, la kiné voudrait que je dorme avec mais j’ai toujours refusé et je préfère dormir bien installée en rond.
Ma mère me faisait mon plat « favori » soupe avec du tapioca et de la viande hachée écrasée dedans, c’était rare lorsqu’elle pouvait me faire avaler autre chose ; elle râlait lorsqu’elle voyait d’autre bambins avaler d’un trait un yaourt et que je mettais une demie – heure pour en avaler la moitié d’un.
Malgré tout cela, je ne me suis rendue compte de rien, pourtant je vous laisse imaginer le nombre de fois où les gens ont posé des questions à mon entourage. Si je continue ce livre un chapitre sera réservé à la découverte de mon handicap.
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